Le parcours difficile des personnes en situation de handicap et demandeuses d’asile en 2019

L’Association multiethnique pour l'intégration des personnes handicapées (AMEIPH) a effectué cet été un exercice fort intéressant. En effet, nous avons procédé au recensement des 178 dossiers de nos membres des deux dernières années (2017-2019), afin de pouvoir relever et identifier leurs besoins, autour de nos 4 axes de travail (accès limité à l’emploi/le milieu d’éducation, la problématique de logement adapté, la méconnaissance du réseau de la santé et des services sociaux, l’isolement social/groupes ségrégés). Il en ressort notamment que la situation est préoccupante pour nos membres demandeurs d’asile. Une personne demandeuse d’asile est une personne qui se présente à la frontière canadienne sans avoir fait de démarche préalable dans son pays d’origine. Le statut de ces personnes est flou et les condamne injustement à ne pas avoir accès à des services auxquels ils ont droit en terre canadienne. En effet, tel qu’inscrit sur le site du gouvernement du Canada à l’intention des demandeurs d’asile, « pendant qu’on examine votre demande d’asile, vous bénéficiez de certains droits et vous pouvez avoir accès aux services canadiens. La Charte canadienne des droits et libertés protège tous les personnes au Canada. » Dans cet article, l’AMEIPH vous présente une incursion dans le quotidien d’une personne demandeuse d’asile et en situation de handicap. Appelons cette personne John.

Au jour 1 de son arrivée à la frontière canadienne (le plus souvent par la frontière terrestre), John reçoit le document du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), communément appelé le « papier brun ». Ce papier « offre une protection en matière de soins de santé limitée et temporaire aux personnes demandeurs d’asile qui ne sont pas admissibles à un régime provincial ou territorial d’assurance-maladie ». Le même jour, John passe devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR).

Au jour 2 de son arrivée, John est accueilli par le Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA), où sont évalués ses besoins psychosociaux, et s’il a besoin d’un hébergement d’urgence, auquel il aura accès s’il n’a pas de réseau social au Canada et qu’il n’a aucun argent en poche à son arrivée au pays.

Du jour 3 jusqu’à deux semaines après son arrivée, John sera aidé pour faire sa demande d’aide sociale, mais ne pourra avoir pas accès aux allocations familiales, car il est demandeur d’asile. Il cherchera un logement, un avocat l’aidera à préparer sa demande de réfugié (peut prendre en moyenne 18 mois avant d’être accepté comme réfugié, et les délais s’allongent depuis 2017 en raison des demandes qui augmentent et du personnel insuffisant pour y répondre), et pour obtenir un permis de travail. John prendra aussi un rendez-vous médical exigé par les services d’immigration du Canada.

Du jour 14 au jour 21, John va peu à peu s’intégrer dans sa communauté, ses enfants et lui-même s’il le désire pourront aller à l’école, accéder à de la francisation, se chercher un emploi. Ça, c’est en théorie, car pour un demandeur d’asile en situation de handicap (comme plusieurs de nos membres à l’AMEIPH), la situation est beaucoup plus difficile.

En effet, pour nos membres, une série d’embûches se présente, car le système n’est pas pensé en fonction d’eux. Dans la majorité des cas, nos membres consultent l’AMEIPH pour plus d’une raison, car ils ont plus d’un besoin. Les problématiques sont toutes reliées entre elles, au sein d’un système non-adapté à leur réalité.

Accès au réseau de la santé et des services sociaux

Chez nos membres demandeurs d’asile en situation de handicap, l’accès au réseau de la santé et des services sociaux est une priorité. Avec un statut de demandeur d’asile, l’accès au réseau est difficile, car le personnel en CLSC n’est pas sensibilisé à ce statut, et peu de personnel sait que ces personnes ont des droits et ont accès à certains services grâce au PFSI, qui leur offre une couverture appelée Medavie qui est administrée par la Croix-bleue. Souvent, en raison de l’ignorance, ils n’acceptent pas de les servir, car ils n’ont pas de carte d’assurance-maladie. Le PFSI étant un formulaire fédéral et la RAMQ étant provinciale, il y a un manque de coordination et de communication dans ce dossier, ce qui a un impact négatif direct sur nos membres. Un autre aspect est l’historique médical inexistant de nos membres qui viennent de débarquer au Canada. Un médecin qui accepte de les recevoir (qui est donc au courant qu’ils sont couverts pour les soins de santé) doit suivre une procédure et refaire une série de tests avant d’autoriser la prise d’un médicament ou d’un équipement spécialisé.

Emploi et éducation

Nous constatons également une problématique pour nos membres demandeurs d’asile en situation de handicap qui n’ont pas accès à la totalité du marché de l’emploi, ce qui les contraint bien souvent à être longtemps bénéficiaire de l’aide sociale. En raison de leur statut, ils n’ont pas accès aux SEMO (service d’emploi et de main d’œuvre des personnes handicapées) et n’ont pas droit au CIT (contrat d’intégration au travail) et aux subventions salariales d’emploi de première expérience avec Emploi-Québec. Reprenons John en exemple, en ajoutant qu’il est non-voyant, demandeur d’asile et qu’il est venu avec ses jeunes enfants. On fournirait certes un permis de travail à John, mais il devra avoir accès à un poste informatique adapté, à une séance de mobilité et orientation dans la ville où il vit, afin de se repérer, tous des services auxquels il n’a pas droit en raison de son statut. Si on ajoute à cela qu’il ne pourrait avoir accès au SEMO, au CIT, aux subventions d’Emploi-Québec, ni aux garderies subventionnées pour ses enfants… donc comment il pourrait-il se trouver un travail et travailler? En raison de son statut et de sa situation familiale, il est totalement désavantagé. Quand bien même on lui fournit un permis de travail, il n’a pas les outils pour se trouver un travail dans sa condition. On a le sentiment que le système n’a pas été adapté pour lui.

 

Accès à un logement accessible

Les interventions de l’AMEIPH ont été bien souvent de référer les membres à des organismes spécialisés en recherche de logement, tout en les aidant dans leurs démarches pour faire des demandes pour les coopérative et/ou HLM. Toutefois il faut préciser qu’encore une fois, les personnes demandeurs d’asile n’ont pas accès au coopérative, ni aux HLM, ce qui les marginalise et les précarise encore davantage. Ces personnes sont désavantagées. Quand ils touchent leur premier chèque d’aide sociale, on oblige les demandeurs d’asile de quitter les centres d’accueil du PRAIDA et de se prendre un coloc inconnu en appartement. Bien que le PRAIDA ait une banque de propriétaires prêts à accepter des demandeurs d’asile, cela reste préoccupant et marginalise ces personnes qui sont déjà dans la précarité.

Finalement, pour les demandeurs d’asile, l’isolement est très grand, car ces personnes au statut flou et incertain ne possèdent bien souvent pas la langue du pays d’accueil, hésitent à se mettre dans la lumière, à faire valoir leurs droits, de peur de perdre leur statut. Comme ce sont des personnes qui sont bien souvent à mobilité réduite, la saison hivernale est de plus très difficile.

Il convient donc d’être vigilants, informés, et l’AMEIPH s’emploie à favoriser l’inclusion de ces personnes dans la société d’accueil, tout en les amenant à devenir des acteurs de changement en les accompagnant dans ces premiers temps difficiles qui en décourageraient plus d’un!

Nous en appelons à la TCRI, la COPHAN, au Mouvement PHAS, à l’@Office des personnes handicapées du Québec, DéPhy Montréal, Ex aequo à nous soutenir dans cette lutte pour leurs droits, ainsi qu’aux décideurs publics pour que cette situation ne perdure plus et que ces personnes retrouvent leur dignité. Nous remercions Centraide du Grand Montréal et le CIUSSS du Centre Sud de l’Île de Montréal à travers le programme PSOC qui nous soutiennent dans notre mission.

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Publication

16 octobre 2019

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17 février 2023 09:12

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